Le cinéma comme la musique – le film comme une musique de chambre: L’Analyse de la première scène de répétition dans “Un Cœur en Hiver”.
(Cinema as Music, film as a chamber music: Analyse of the repetition scene in the “A heart in Winter”.)
von Hakki Kurtulus
Licence Cinéma, Université Lumière Lyon 2, Lyon — 2002
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Le cinéma comme la musique – le film comme une musique de chambre:
L’Analyse de la première scène de répétition dans Un Cœur en Hiver
Hakkı Kurtuluş
Licence Cinéma
Université Lumière Lyon 2
Lyon — 2002
Plan :
1. La Présentation
2. Le Film
2.1. La fiche technique
2.2. Synopsis
2.3. La première scène de répétition
3. La musique de chambre
3.1. La Sonate
3.2. Les instruments musicaux : Violon et violoncelle
3.3. Maurice Ravel
3.3.1. Sonate pour violon et violoncelle
4. Le Résultat
5. La Bibliographie
5.1. La Discographie
6. Annexes
6.1. Feuille de service du mardi 3 décembre 1991 de « Femme de Cœur et Valet de Pique »
« Lorsque Stéphane vient entendre Camille à la répétition et qu’il la fixe intensément pour la déstabiliser, il y parvient et en est fier. »
« Au début, il y a le duo pour violon et violoncelle qui est une pièce ingrate, exprimant son malaise en face de Stéphane. »
Claude Sautet
dans « Conversations avec Claude Sautet » de
Michel Boujut,
Je vous aime : cela ne vous regard pas
Attribué à Goethe
Je ne vous aime pas : cela ne vous regard pas
« La Musique c’est du rêve. »
Stéphane dit à Camille
1. La Présentation
Ce travail va décortiquer le rôle de la musique dans Un cœur en Hiver de Claude Sautet en partant d’une scène clef dans le récit. Dans la démarche de ce travail d’analyse filmique, en partant des quelques questions essentielles (« Est-ce que La Sonate pour violon et violoncelle est descriptif dans le récit ? » ou « Est-ce que cette musique de chambre décrit une figure, une émotion ou une incertitude dans l’histoire du film ? ») je vais essayer de « décrire » le rôle de la musique dans Un Cœur en Hiver. J’ai la conscience que les questions que je pose ici sont les questions existentielles de langage cinématographique. Le décalage de Méliers et Frères Lumière, « le réel » et « l’imaginaire » se repose.
Pour moi dans ce film « simple », « profondément douloureux », « émouvant » et « dense » Sautet réussit décrire une incertitude émotionnelle par la musique. Alors, pour moi, comme les autres pièces qu’on entend pendant le film, La Sonate pour violon et violoncelle décrit l’incertitude de duo dans le trio.
Généralement la musique est comme support ou comme « décor » du film. C’est pour cela que la production Hollywoodienne a une chaîne de fabrication des « soundtracks », des musiques de films. La musique comme décor d’un film, c’est d’abord révélatrice.. Dans le(s) histoire(s) certaine(s), la musique ne guerre que la [R/r]évélation. La certitude a besoin des prouves, des supports, des Révélations.
« J’avais toujours évité jusque-là de me servir de la musique comme support ou comme décor de film. Mais là, ce qui m’intéressait, c’était de montrer le travail musical comme force d’expression. »[1]
Après la naissance de la photographie, la peinture est orientée vers non-figurative. D’abord, la netteté a disparu : Les impressionnistes, les fauves ou les cubistes étaient au mi-chemin vers le flou, vers une image qui n’est plus absolue. La « Guernica » ou « Les Dames d’Avignon» de Picasso signifiaient la dissolution de la notion Révélatrice d’une image absolue. C’était la même pour la musique : Ravel était à mi-chemin vers la dissolution, la déconstruction de la mélodie. Dans ce sens, La Sonate pour violon et violoncelle est peu mélodique : Elle a des inspirations de jazz.
« Si j’ai choisi les trios et sonates de Ravel, c’est parce qu’ils ne sont pas très connus et assez peu mélodiques. Je voulais une musique de chambre qui ne soit ni romantique, ni contemporaine.»[2]
La musique de Ravel est utile pour l’histoire. Mais cette « utilité » n’a aucun point commun avec une utilité de [R/r]évélation : La musique de Ravel est descriptive dans Un Cœur en Hiver, parce que « la musique c’est du rêve ». parce que Sautet est dans l’imaginaire.
«M.B. La musique c’est du rêve », faites-vous dire à Stéphane. C’est votre point de vue ?
C.S. C’est ce que je crois ! La musique n’est jamais tenue au réalisme. Chacun s’en nourrit librement. Ravel avait aussi la mérite de donner la cadre et le climat du film. Ravel a vécu seul toute sa vie, sans qu’on lui connaisse aucun liaison, au milleu des nombreux automates qu’il adorait. J’y voyais une sorte de rapport avec le personnage de Stéphane. »[3]
« J.-M.F. Vous faites dire à Stéphane : « La musique, c’est du rêve. » Vous qui comparez la mise en scène à la composition, vous diriez la même chose du cinéma ?
C.S. Oui… Stéphane répond cela pour se protéger. Moi aussi. »[4]
Un Cœur en Hiver signifie une maturité dans l’œuvre de maître. Suite au tournant marqué par son film précédent Quelques jours avec moi (1987) le maître s’oriente vers une maîtresse absolue de l’art filmique. « …Un Cœur en Hiver est un film mesuré, impeccablement découpé, aux contours nets : rien qui dépasse. Pas une scène de trop dans cette pièce maîtresse, pas un mot inutile non plus. »[5] Ce film est donc comme une musique de chambre.
« Je voulais faire un film économe ou tout soit exprimé de façon minimale, tant je sais que les dialogues ne traduisent qu’une partie de la vérité des êtres. »[6]
Un Cœur en Hiver est d’abord est une œuvre si « resserré » sur la difficulté d’aimer, sur la difficulté d’exister, sur des personnages, sur leur intériorité et sur le principe de l’incertitude de l’amour.[7]
« M.B. C’est peut-être aussi que vous n’aviez encore jamais fait un film aussi « resserré » sur des personnages, sur leur intériorité…
C.S. Cela vient avec l’âge. C’est ce qu’on pourrait appeler une musique de chambre. »[8]
2. Le Film
Lion d’Argent et prix de la critique internationale au Festival de Venise 1992, Grand Prix 92 du Festival France-Cinéma de Florence, César du meilleur réalisateur et César du meilleur acteur (André Dussollier), Grand Prix de l’Académie nationale du cinéma, Prix du meilleur film étranger au London Film Critics Circle
Sortie à Paris : 2 septembre 1992 aux Forum Horizon, Hautefeuille, UGC Danton, UGC Montparnasse, Gaumont Ambassade, Saint-Lazare Pasquier, UGC Biarritz, Français, Les 14 juillet Bastille, UGC Lyon-Bastille, Les Nation UGC Gobelins, Gaumont Parnasse, Mistral, 14 juillet-Beaugrenelle, UGC Maillot, Pathé Wepler
Fréquentation : 437 731 entrées (Paris), 1 382 426 entrées (France).
Diffusion télévision : 25/3/94 (Canal +), 30/11/95 (France 3), 21/5/98 (France 3), 25/7/2000 (France 2), 5/5/2001 (Canal +, première diffusion)[9]
2.1. La fiche technique
Un Cœur en Hiver
1992. Couleur. 105 minutes
Durée TV : 100 minutes
Stéphane : Daniel Auteuil
Camille : Emmanuelle Béart
Maxime : André Dussolier
Hélène : Elisabeth Bourgine
Régine : Brigitte Catillon
Lachaume : Maurice Garrel
Madame Amet : Myriam Boyer
Brice : Stanislas Carre de Malberg
Mme Ostende : Jean-Luc Bideau
Patron de Brasserie : Jean-Claude Bouillaud
Client, vendeur du violon : Van Doude
Homme, dispute : François Domange
Femme, dispute : Nanou Garcia
Le Violoncelliste : Jacques Villa
Client, librairie : Jacques Fieschi
Vincent : Xavier Rothmann ou Billy-Ron Hadley
La petite fille de Lachaume : Galaxie Barbouth ou Aurélie Rothmann
Le petit garçon : Victor-Josua Sonier
La petite fille au violon : Justine Bosco
Réalisateur : Claude Saute
Scénario et dialogue : Claude Sautet et jacques Fieschi
Production : Film par film, Cinéa, Orly film, Sedif, D.A. Films, FR Films Productions
Directeur de production : Gérard Gauthier
Producteurs délégués : Jean-Louis Livi et Philippe Carcassonne
1er assistant réalisateur : Yvon Trouve
Assistants réalisateurs : Frédéric Jardin, Natalie Engelstein et Nils Hoffet
Scripte : Geneviève Cortier
Casting : Lissa Pillu, Christiane Lebrima et Pascale Beraud
Directeur de production : Gérand Gauthier
Régie : Marc Vade, Francis Barrois, Marc Rovere et olivier Guespin
Administrateur : Jean Brun
Secrétaire de production : Béatrice Chauvin
Assistants opérateurs : Laurent Fleutot, Paco et Alain Bolle
Image : Yves Angelo
Photographie de plateau : Benoït Barbier
Son : Pierre Lenoir
Assistant son : Denis Carquin
Montage son : Marie-Thérèse Boiche
Montage : Jacqueline Thiedot
Assistants montage : Christine Grenet, Anne-Marie Hardouain et Dorian Rigal-Ansous
Bruiteur : Jérome Levy
Mixage : Jean-Paul Loublier
Costumes : Corinne Jory
Assistants costumes : Maire-Claude Brunet, Tess
Maquillage : Thi-Loan Nguyen
Coiffure Daniel Mourgues
Décors : Christian Marti
Equipe décoration : Frédérique Belveaux, Thomas Chevalier, Alain Gosse et Olivier Coutagne, Thierry Golitin, Bertrand Fremaux, Philippe Silvain, Yvon Moreno, Claude Vincent Robinson, Sophie Pons et Raymond Moreddu
Electriciens : Michel Lefrançois, Denis Moncel, Marc Moncel, Richard Vidal et Jean-Jacques Gageat
Machinistes : Charlie Freess, Jean-Yves Freess et Jacques Gageat
Collaboration à l’écriture : Yves Ullmann et Jérome Tonnere
Conseillers musicaux : Christophe Poiget et Carole Saint-Michel
Conseillers lutherie : Etienne Vatelot et Philippe Mahu
Direction musicale : Philippe Sarde[10]
Tournage : 21 octobre 1991- 28 janvier 1992.
Studio : Epinay
Extérieurs : Asnières-sur-Oise, Saint-Cloud, Orly et Paris
Musique extraite des Sonates et Trio de Maurice Ravel
CD du film produit par : Jean-Louis Livi et Philippe Carcassonne
Violon : Jean-Jacques Kantorow
Violoncelle : Philippe Müller
Piano/Klavier Steinway : Jacques Rouvier
Editions Durand, Paris
Direction artistique de l’enregistrement : Michel Garcin
Intérieur du son : Pierre Lavoix
Montage Musical :Françoise Garcin et Pierre Lavoix
Enregistrements réalisés en 01/1973 & 12/1973 à Eglise Notre-Dame du Liban, Paris ã Erato Disques S.A. 1973, 1974[11]
2.2. Synopsis
Stéphane et Maxime sont amis depuis si longtemps… depuis ces jours de leur jeunesse ou ils préparaient ensemble le conservatoire de la musique.
Mais peut-être que le métier qu’ils partagent – la lutherie – et l’habitude des jours les a séparés sans qu’ils le sachent, comme s’ils n’attendaient plus rien l’un de l’autre, aucune surprise, aucune douleur.
Camille Kessler, la jeune violoniste douée et puritaine, va entrer dans leur vie pour en bouleverser la routine. Maxime et Camille s’aiment. Mais Stéphane n’y croit pas. En quoi croit-il encore, dans la vie fermée sur elle-même qu’il s’est patiemment construite ? A la musique, oui, « parce que c’est du rêve ». Mais pas aux sentiments amoureux, cet état qui le dépayse : Sans que même il l’ait concerté, comme malgré lui, contre Maxime, il va se livrer à un jeu qui capte peu à peu l’attention de la jeune fille. Dès lors, c’est Stéphane lui-même qui est en danger… Et l’aventure va jeter sur ce cœur en hiver une lumière violente et nouvelle …
Pourra-t-il toujours dire alors : « Je ne vous aime pas » ?[12]
Ce synopsis « officiel » répète l’opinion générale sur l’histoire incertaine du film. En fait –heureusement- l’incertitude du récit nous donne la chance de rérésumer l’histoire :
« Tonnere ( Collaborateur au scénario. HK ) nous disait :‘ Je ne vois pas en quoi Stéphane peut plaire à Camille. » [13] J’accepte l’opinion de Daniel Tonnere et Alain Cavalier qui disait que Stéphane est comme un « casseur d’amour ». Voici le synopsis réécrit :
L’argument d’Un cœur en hiver, merveille d’émotion et de précision, est simple, peut même sembler mince. Stéphane est luthier. C’est dire qu’il connaît la musique. Il travaille paisiblement avec Maxime, un ami de toujours. Et puis, passe une très jolie violoniste dont il tombe amoureux. Ce qui ne trouble pas Stéphane, plus observateur qu’acteur. Mais Camille est impressionnée par les silences énigmatiques de Stéphane. Au point de se prendre à son jeu, de se perdre dans son regard implacable. Au point de lui avouer la passion irrésistible qui l’emporte vers lui. Et lui, Stéphane, avec une placidité de glace, de lui répondre : « Je ne vous aime pas ! » Cette cruauté, gratuite ou pas, va traverser toute l’histoire du trio, comme un mot de trop peut traverser toute une vie. [14]
2.3. La première scène de répétition
Cette scène est trop difficile à réussir, parce qu’on voit une naissance d’un ressentiment d’une femme. (L’amour ? On ne sait pas encore) Merveilleusement découpé, poétiquement écrit, dans cette scène éxtremment rare, Sautet peut réussir montrer un ressentiment d’une femme vers un homme sans faire des clichés des scènes de rencontres des films d’amour.
Je reprends les paroles de Sautet :
« Je voulais faire un film économe ou tout soit exprimé de façon minimale, tant je sais que les dialogues ne traduisent qu’une partie de la vérité des êtres. »
Cette scène est du pur cinéma, pure d’amour : Ici, ce sont les yeux croisés qui s’expriment.
Appartement de Régine – intérieur jour
127. Travelling latéral sur les personnes qui assistent à la répétition de Camille : trois messieurs, puis Stéphane et Maxime, une dame âgée et Régine. Sur le travelling, on entend off le début du premier mouvement de la sonate pour violon et violoncelle : La caméra s’arrête sur Camille et Christophe, le violoncelliste, en train de jouer en plan rapproché taille.
128. Plan américain de Stéphane et Maxime assis de face, écoutant attentivement.
129. Plan rapproché poitrine de Camille jouant.
130.Plan rapproché de Camille et Christophe jouant. Camille s’interrompt.
Camille. Non… Excuse-moi, Christophe. On reprend. (132. Reprise du plan rapproché poitrine 129. Camille s’interrompe à nouveau. Sans lever la tête. Pardon. (Inspirant profondément, elle reprend. Elle lance un bref regard vers ses auditeurs. 133. Contrechamp : reprise du plan rapproché poitrine. 130. sur Stéphane. 134. champs : reprise du plan poitrine 129 sur Camille. Son regard s’échappe à nouveau vers Stéphane. 135. Contrechamp : reprise du plan poitrine 130 sur Stéphane qui la fixe impassible.136.Plan rapproché poitrine sur Camille, légèrement plus serré que plan 129. Son regard s’échappe encore vers Stéphane. Elle s’interrompe à nouveau. Enervée) Non, j’y suis pas, j’y suis pas du tout
[15]
137.Reprise du plan américain 131 sur Camille et Christophe.
Christophe (calme). Moi je trouve que ça va…Enchaînons.
Camille (énervée). Mais non, ça ne va pas. Ça n’a rien a voir avec toi, c’est moi… (138. Plan américain sur Régine assise qui tourne la tête, impatient. Camille, off)… je suis tout le temps en retard.
Régine. Mais non, écoute, je ne trouve pas.
139. Reprise du plan rapproché poitrine 136 sur Camille, désolée.
Camille. Mais si ! Je n’y arriverai pas, aujourd’hui.
140. Plan américain de Maxime et Stéphane embrassées. Stéphane fixe ses mains, gêné.
Maxime. C’est le violon qui ?…
141. Contrechamp : reprise du plan rapproché poitrine 136 sur Camille.
Camille (souriant tendrement) : Non, non. (A Régine) Régine, je peux avoir un verre d’eau ? (142 . Reprise du plan américain 138 sur Régine qui prend un verre d’eau sur la table à coté d’elle. 143. Christophe en plan rapproché poitirne attrape le verre et le fait passer à gauche à Camille, suivi en panoramique droit/gauche. On découvre Camille en plan rapproché poitrine, prenant le verre et buvant) Merci.
144. Reprise du plan américain 140 sur Maxime et Stéphane.
Maxime. (se penchant vers Stéphane). On peut peut-être le travailler davantage ?
Stéphane. Non…
Camille (off). Non, c’est exactement le réglage… (145. Reprise du plan rapproché poitrine 136 sur Camille) que je voulais. Non, c’est moi.
146. Plan rapproché taille de Stéphane et Maxime.
Stéphane (se penchant vers Maxime) Il faut que je parte.
Il se lève, sous le regard surpris de Maxime, contourne son siège et passe derrière les trois messieurs, suivi par leurs regards. On identifie parmi eux le pianiste. Panoramique d’accompagnement gauche/droit sur lui.
147 . Reprise du plan américain 138 sur Régine qui suit Stéphane du regard puis lance un regard étonné à Maxime.
148. Reprise du plan rapproché poitrine 136 sur Camille qui boit une nouvelle gorgée, pose le verre à coté d’elle et se prépare à jouer.
Camille (souriant). Bon. Allons‑y.
149.Plan rapproché taille de Maxime qui se tourne vers Camille, disposé à écouter.
150. Reprise du plan américain 131 sur Christophe et Camille qui se remettent à jouer.
151. Travelling arrière sur Stéphane qui avance dans le couloir blanc de l’appartement de Régine, alors que l’on entend off la suite de la sonate. Il se dirige vers la sortie, en plan rapproché taille. Il sourit. Il lance un regard vers la gauche avant de tourner à droite. Suivi en panoramique gauche/droite, il arrive à la porte d’entrée. Il hésite avant de l’ouvrir, écoutant la sonate, puis sort en ferme la porte derrière lui, souriant toujours. La caméra s’attarde sur la porte blanche fermée alors que la sonate se poursuite off.
3. La musique de chambre
À l’origine, la musique de chambre s’oppose à la musique religieuse et à la musique de scène. C’est une musique composée et interprétée pour et, souvent, par des particuliers, princes ou riches amateurs. L’espace réduit où elle se trouve généralement exécutée ainsi que la simplicité qui caractérise, la plupart du temps, ses compositions expliquent le nombre limité de musiciens, cinq ou six tout au plus. À l’époque classique, la musique de chambre est autant conçue pour le plaisir de l’exécutant que pour l’agrément de l’auditoire, qui est parfois peu nombreux.
À partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, la distinction s’établit entre musique d’orchestre et musique de chambre, en fonction seulement de la taille de la formation requise. En musique de chambre, on rencontre essentiellement le trio, le quatuor, le quintette et le sextuor. Le quatuor à cordes, formation de musique de chambre la plus fréquente, est composé de deux violons, d’un alto et d’un violoncelle. L’ensemble de chambre est un orchestre en réduction, dont chaque partie est confiée à un soliste plutôt qu’à un groupe d’instrumentistes. La recherche instrumentale et formelle n’est pas moins importante dans la musique de chambre que dans la musique orchestrale, bien au contraire. En témoignent les nombreux quatuors de Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert, Brahms, Dvorak, Bartók ou Schönberg.[16]
3.1. La Sonate
La sonate a une double signification :
1. Un genre de composition instrumentale en plusieurs « mouvements ».
2. Une forme classique, régissant la structure interne d’une pièce : cette « forme-sonate » peut être observée dans un ou plusieurs mouvements de la sonate, de la symphonie, du concerto, des œuvres de musique de chambre, de l’ouverture, et inversement, il existe des sonates dont aucun mouvement n’est précisément en forme-sonate (Beethoven : op. 26)
(…) Le plan de la sonate classique admis (sinon suivi) jusqu’à nos jours, est alors le suivant
1er mouvement.: Rapide ou modéré, généralement en forme-sonate très développée. C’est souvent la pièce ma8tresse de l’œuvre ; elle est parfois précédée d’une introduction lente.
2e mouvement.: Lent et expressif, en forme ternaire à un thème (forme-lied) ou en forme-sonate en forme de thème-et-variations.
3e mouvement. Menuer ou scherzo, avec trio et reprise du commencement. Assez court et plutôt gai (exception chez Beethoven), il est facultatif comme les « intermezzo » de la suite.
4e mouvement. Finale brillant de mouvement vif, en forme de rondeau ou de sonate, ou en combinaison des deux.
Les mouvements 1,3,4, sont généralement dans la même tonalité, le mouvement lent étant dans une tonalité voisine. [17]
La forme sonate est aussi utilise par la littérature (Shakespeare notamment) et par le cinéma. (Sonate d’automne d’Ingmar Bergman)
3.2. Les instruments musicaux : Violon et violoncelle
Violon est né au début du XVIème siècle sous la dénomination de la « lira da braccio, présentent qui distinguent les violons des « viole da gamba »
- quatre cordes accordées par quintes
- chevalet plus haut et plus supportant une plus forte tension des cordes
- touche uniforme (sans cases) ; du fait de la hauteur du chevalet, le manche (termine par une volute) est légèrement incliné en arrière, de sorte que l’extrémité de la touche soit soulevée au-dessus de la table.
- ouïes en forme ff.
- cases très échancrée sur les cotés, en forme de C, avec des angles accentués.
Cette forme, telle que nous connaissons, fut établie définitivement, après de nombreux tâtonnements par les grands luthiers de Crémone.
Le violon a une extraordinaire complexité ou l’on peut dénombrer jusqu’à 70 pièces séparées.[18]
Généralement, grâce à sa voix et sa taille petite et les ouïes en forme ff le violon est considéré comme un instrument féminin.
Violoncelle (petit Violone ; contrebasse) est née dans la deuxième moitie de XVIIème siècle. C’est Antonio Stradivarius qui a fixé la dernière forme.
Le violoncelle s’accorde à l’octave grave de l’alto (do sol ré la).
Le violoncelle a des fonctionnes harmoniques et rythmiques et non mélodiques. Sur violoncelle les sonnes harmoniques sont meilleurs que sur le violon, les cordes étant plus grosses : ils permettent de porter l’étendue de l’instrument à plus de 5 octaves. (Jusqu’au fa, c’est-à-dire l’extrême aigu du violon en sons naturels.)[19]
3.3. Maurice Ravel
(Ciboure, Pyrénées-Atlantiques, 1875 — Paris, 1937 )
Maurice Ravel est l’un des compositeurs le plus “français” jusqu’aujourd’hui. Sa vie si dépourvue d’éclats et d’aventures qu’elle en devient mystérieuse ; une personnalité discrète, qui échappe aux plus familiers ; une œuvre rare, dont la virtuosité est mise au service de recherches et d’audaces qui révolutionnent les techniques pianistique et orchestrale : tel est Maurice Ravel, dont le Boléro reste le morceau de musique français le plus joué dans le monde.
Ravel écrit lentement : il ne laissera qu’une soixantaine d’œuvres, ce qui est peu, comparé au catalogue de Milhaud ou de Villa-Lobos. Il remanie sans cesse, cherche même la difficulté (Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé, Concerto pour la main gauche ). Dans beaucoup de ses oeuvres, il a cherché une grande complexité technique.
Mais cette recherche ne concerne pas seulement les modes de jeu instrumentaux. Elle s’opère également à travers le modernisme des sonorités, souvent dû à l’utilisation d’instruments inhabituels — éoliphone (machine à vent ) dans Daphnis et Chloé, râpe à fromage frappée par une baguette métallique et flûte à coulisse dans l’Enfant et les Sortilèges — et à un dosage orchestral très précis. En effet, Ravel est indiscutablement un des plus grands orchestrateurs de tous les temps, comme le prouve, entre autres, son orchestration (1922) des Tableaux d’une exposition du compositeur russe Moussorgski.
Son goût pour la couleur conduit ce Basque à de fréquentes évocations de l’Espagne, particulièrement dans Alborada del Gracioso et la Rhapsodie espagnole. Plus tard, il s’inspire même du jazz dans le fox-trot de l’Enfant et les Sortilèges, comme dans le blues de sa deuxième Sonate pour violon et piano (1923 ‑1927 ) ou à travers certains passages du Concerto en “sol “.
Ces emprunts à la musique espagnole et au jazz participent à cet élan rythmique que Ravel se plaît à faire vivre à travers les nombreuses danses qui l’inspirent (Valses nobles et sentimentales, Habanera ). Certains de ses rythmes proviennent du reste de formes et de genres anciens (Pavane pour une infante défunte, 1899 ).
Cet aspect néoclassique de son style lui permet d’éviter toute forme de lyrisme exacerbé. Bien plus que les tourments de l’âme, Ravel s’attache en effet à décrire de beaux tableaux de nature : la mer dans Une barque sur l’océan, le vol d’imperceptibles papillons de nuit dans les Noctuelles, un chant noté sur le vif lors de l’une de ses promenades en forêt dans les Oiseaux tristes, le lever du jour dans Daphnis et Chloé, le rossignol, les libellules et les rainettes dans la scène du jardin de l’Enfant et les Sortilèges.
La musique de Ravel peut donc être limpide comme l’eau, ainsi qu’en témoignent les sonorités confiées aux aigus cristallins du piano dans les Jeux d’eau, qui annoncent du reste les Jardins sous la pluie (1904 ) de Debussy.
Mais son style se nourrit également d’une harmonie complexe où les accords sont enchaînés d’une manière inhabituelle pour l’époque. De nombreux emprunts aux modes médiévaux et aux échelles exotiques (pentatonisme ) viennent colorer son œuvre, sans provoquer de véritables ruptures avec le système tonal. De ce point de vue, Ravel est beaucoup plus proche de Fauré, son professeur, que de Claude Debussy, moins fidèle quant à lui aux principes tonals classiques.
C’est cependant à ce dernier, auquel le liera toujours une solide admiration, qu’il emprunte les tons impressionnistes de Schéhérazade. Quant à la ligne mélodique des Histoires naturelles, si proche de la phrase française, elle est très évidemment influencée par le mode de déclamation utilisé par ce même compositeur dans Pelléas et Mélisande, procédé que Ravel conduira à une véritable “conversation en musique ” dans l’Heure espagnole.[20]
3.3.1. Sonate pour violon et violoncelle
Avec introduction et allegro, commencent une longue et précise exposition des possibilités techniques de chaque instrument. Emille Vuillernoz raconte avoir vu souvent le musicien assaillir littéralement des virtuoses pour obtenir d’eux tel ou tel secret d’exécution et leur offrir en retour « des inversions hardies zones peu fréquentées de leurs instruments.
C’est ce qui le conduisit la composition de sa sonate pour violon et violoncelle qui représente dans son œuvre une grande victoire technique. La Sonate en la mineur est une merveille artisanale du mot, un poème rigoureux, ici acide et là profond.[21]
« Le film comme une musique de chambre » : Pour re/voir l’harmonie de la musique et du film on peut écouter la voix de Gérard Langlois :
Une corde tendue à l’extrême, solide comme de l’acier, mais en même temps si fragile qu’elle peut rompre à tout moment, dans un faux pas, comme celle d’un violon, et sur laquelle l’archet Sautet va tirer les plus infimes vibrations, les plus subtiles palpitations, les plus éloquents dans ce qui est peut-être son film le plus profondément douloureux. Une confession à peine voilée ou chaque élément du trio désaccordé représente une part de lui-même. L’un qui paraît et tente d’unir les contraires, l’autre qui se tient à l’écart mais fait preuve d’une patience d’ange pour fabriquer la pièce rare, le troisième qu’on admire mais qui n’est jamais satisfait de lui-même. Avec en leur chœur, comme en leur cœur, la musique, cette part de rêve.[22]
C’est en quelque sorte la dernière incursion de Ravel dans le domaine d’un ascétisme rigoureux. Si les œuvres ultérieurs comportent des moments de dépouillement, ce ne sera qu’en passant, sans que ces instants viennent tuer le lyrisme général de l’ouvrage. Et, d’ailleurs, ce dépouillement sera toujours un hommage rendu à la force de la mélodie, qui sortira victorieuse de ces épreuves. Dans cette sonate, qui est la dernière œuvre « tendue » de Ravel, certains moments semblent dénoter quelque amertume chez notre compositeur. Est-ce l’exemple déjà étudié de Schönberg ? Est-ce vis-à-vis des jeunes qui repoussent tout lyrisme, un accès de pudeur exagérée ? Toujours est-il que cette sonate n’est point une œuvre plaisante, à part un andante serein et émouvant.[23]
Cette œuvre émouvant est composée juste après le découvert de la musique de jazz de Ravel comme beaucoup des musiciens de temps. Pour cette époque, Ravel avait des relations fortes avec la musique de Mussorgsky et Schönberg. C’est pour ces raisons que la douceur de « Swing » est sensible dans cette sonate.
A propos de cette œuvre dans ses esquisses autobiographiques Ravel note celui-ci : La sonate pour violon et violoncelle date de 1920, époque à laquelle je m’installai à Montfort‑l’Amaury. Je crois que cette Sonate marque un tournant dans l’évolution de ma carrière. Le dépouillement y est poussé ère. Le dépouillement y est poussé à l’extrême. Renoncement au charme harmonique ; réaction de plus marquée dans le sens de la mélodie. [24]
4. Le Résultat
« L’alternance des rythmes est l’une des caractéristiques de Sautet. Dans ses films ou, comme en musique, peuvent se succéder l’allegro vivace, l’adagio, le rondo, il transforme la vie quotidienne à la manière d’Opéra. »[25]
La musique n’est pas ici qu’un élément pittoresque. C’est à travers elle, par un subtil jeu de correspondances que Claude Sautet nous fait saisir l’insaisissable. C’est au cours des répétitions d’un enregistrement de deux sonates et d’un trio de Ravel que les rapports ambigus de l’outre trio Maxime, Camille, Stéphane se dévoilent. Et la passion de Stéphane pour les automates musiciens du XVIIIème siècle. Son habilité pour les réparer nous en disent beaucoup sur lui. Ne ressemble-t-il pas à cas merveilleux mécaniques à qui ne manque que le rire ? [26]
D’après les fiches de tournage, la première scène de répétition est la 13ème séquence de ce film. Dans cette scène comme la séquence de dîner à la maison de Lachaume à la campagne, exceptionnellement nous voyons plusieurs comédiens : Il y a 9 comédien(ne)s listé(e)s dans la fiche de tournage. (Mais il y en a juste huit, nous ne voyons pas le pianiste Jeffrey Grice.) Avec les plans rapprochés et dans la continuité de la narration, nous regardons particulièrement quatre caractères : Stéphane, Camille, Maxime et Régine. Et dans ces quatre caractères, les regards croisés de Camille et de Stéphane est l’essentiel de cette scène dans le récit. Alors, avec cette scène Sautet élimine les détails doucement et vient à l’essentiel de l’histoire : L’amour platonique de Camille. Nous entendons la Sonate pour duo. En fait, ce que nous entendons corresponde avec « le duo dans le trio. » Mais qui sont les membres de ce duo : Stéphane-Camille, Maxime-Camille ou Maxime-Stéphane ? Il n’y a pas une réponse exacte à cette question. D’ailleurs, Un Cœur en Hiver ne cherche pas les réponses exactes. Il n’y a pas une catharsis expliquant pour les spectateurs, tout est incertain, parce que le film parle d’une insaisissable, d’amour.
C’est pourquoi, le rôle de la musique dans le film est descriptif plutôt révélatrice et émotionnel: Sautet connaissait déjà qu’on ne peut pas révéler ou identifier l’amour.[27] En fait, le film est sur les « in-… », c’est-à-dire, les négatifs : L’inabordable, l’inaccessible, l’inaperçu, l’incapacité, l’insaisissable, l’incertitude, l’imperceptible, l’insensibilité… Tous ces « négatifs » ne peut être que décrire. Le « néant » ne peut être capturé.
Je reprends les paroles de Sautet qui a été critique musical à Combat, est un mélomane averti, grand amateur de musique classique et de jazz pour revenir à la musique dans le film :
« Lyon-Libération : pour un film sur le monde de la musique, les plages musicales sont rares.
C.S. : Il y a en tout et pour tout 8 minutes et 30 secondes de musique sur un total de 105 minutes. J’ai beau être réalisateur et passionnément mélomane, je me méfie de l’utilisation de la musique au cinéma. J’ai toujours peur d’enrober inutilement l’image, de faire de la musique un décor de film. Peut-être parce que le cinéma possède sa propre structure musicale, de par le jeu sur la durée des plans ou la connotation dramatique. »[28]
«(…) J’aime beaucoup ces morceaux de Ravel, et comme ils sont relativement peu joués, j’étais heureux de pouvoir les faire connaître. Il est apparu que certains passages correspondaient parfaitement aux situations dramatiques. »[29]
Sautet filme comme composer. Prenons notre exemple : Dans la scène il y a 25 plans, nous entendons le dialogues juste dans 13 plans. Dans huit caractères, seulement cinq comédien(ne)s (Stéphane, Camille, Maxime, Régine et Christophe) parlent. Les dialogues ne sont pas longs.
Camille répète trois fois l’ouverture de la sonate, elle peut poursuivre le quatrième essai jusqu’à la sortie de Stéphane, c’est-à-dire la fin de la scène. Dans ses deux premiers échecs, elle reprend immédiatement. Après le troisième, elle boit un verre d’eau. On entend toutes ces voix. Pourquoi Stéphane sort ? Est-ce qu’il a des choses à faire ? On ne sait pas. Probablement, il sort pour laisser Camille jouer. Dans cette hypothèse, on accepte que Stéphane ait remarqué l « intérêt » de Camille sur lui. Mais, peut-être, il a vraiment des choses à faire. Pendant le film, nous n’apprenons jamais complètement les choses dans la tête de Stéphane : Il ne parle pas beaucoup, il se défend en disant très peu de mots.
« Si le langage n’était pas dans ce film remarquablement efficace, on pourrait dire de Stéphane en effet ne parle pas mais se défend. »[30]
La musique remplace l’absence des paroles ou la présence de non-dits.
« C’est que la parole ici n’intervient jamais innocemment : soit qu’elle se soit arrachée au silence, soit qu’elle ravisse un temps requis par la musique. Parler (parler vraiment – oui, le langage du cœur, comme le souhaitait Musset) est aussi difficile et malaisé que l’exécution des capricieuses et austères pièces de Ravel. »[31]
Un Cœur en Hiver a beaucoup des inspirations Bergmaniens. Par exemple dans la séquence de la mort de Lachaume après une crise au matin, inhabituellement Stéphane ouvre les volets de la maison de la campagne. L’utilisation du silence, autrement dit, les non-dits et les regards croisés sont aussi Bergmanesques. Dans ce cadre, je peux dire que la scène de la répétition que j’analyse ici, c’est l’un des scènes le plus Bergmanesque du film. Il y a trois thèmes Bergmanesque dans cette scène : Camille s’humilie à cause de ses échecs. Sauf quelques mots, ni Stéphane, ni Maxime ne parlent pas. (Ou n’osent pas parler plus) Le silence est omniprésent pendant la musique et même entre les reprises. Ici je n’emploi pas le silence ordinaire d’une répétition : Ce silence est dans le sens Bergmanien. On parle silencieusement. Troisièmement : Les yeux de Stéphane sont comme les yeux d’un voyeuriste. Comme dans La vie des marionnettes (1980) et dans beaucoup des films de Bergman, il y a un voyeurisme. Mais, comme dans le sens du terme, les voyeuristes chez Bergman sont cachées. Ici, dans cette scène, Stéphane n’est pas caché derrière un mur, etc. Mais il se cache quand même. Il se défend par ses regards « hivernales. » Camille regarde lui pour trouver quelque chose dans ses yeux. Le spectateur ne comprend pas beaucoup de choses de tout ça. Mais il y a la musique qui domine la scène. Elle décrit les possibles sens de ces regards. La répétition continue, Stéphane sort, la scène finie. Le spectateur continue d’y penser, d’y écouter.
Un autre aspect. Cette fois philosophique : La répétition est doublement philosophique : Dans les deux cotés de la philosophie (Idéalisme et matérialisme) il y a l’idée de répétition, la récurrence. Par exemple, chez Hegel et chez Marx, on revient au point de départ. Ou bien, chez Nietzsche, en partant d « inversion des toutes les valeurs », la récurrence éternelle est essentielle.
Dans la scène, Camille reprend le commencement de première partie de la sonate. Chaque fois, elle reprend pour arriver au parfait. Elle commence avec son violon et après sa collègue, Christophe commence avec son violoncelle, les sons se croisent, mais Camille s’interrompe. Si nous allons chercher une relation entre les instruments et les caractères, c’est évident que le violon représente Camille. Mais le violoncelle représente qui ? Stéphane ? Maxime ? L’incertitude du film ne nous laisse pas à faire des improvisations quasiment ridicules sur la représentation de la musique de Ravel pour les caractères. Dans le cadre de ce travail académique, je ne poursuivrai pas cette recherche spectaculaire.
En vérité, dans Un Cœur en Hiver la musique ne représente rien. Elle décrit seulement. Elle désigne le cadre de narration et donne le climat du film. Donc, narrativement, la musique de Ravel n’est pas dans le cadrage, tandis que dans les films d’amour, la scène de premier ressentiment, tomber amoureux sont souvent « supportés » ou décorés par une musique de fosse romantique. Pourtant dans Un Cœur en Hiver on n’entend jamais la musique de fosse. Sautet utilise toujours musique d’écran.
« Lyon-Libération : La plupart des plages musicales ont d’ailleurs leur source sonore à l’écran, avec les répétitions de Camille.
C.S. Justement pour éviter cet effet d’enrobement de la musique-accessoire. Quand on voit, on n’entend pas ou mal. Je voulais absolument que le spectateur comprenne la musique de Ravel. Le seul moyen de la rendre présente, c’était de la montrer en train de se faire. »[32]
«Je ne voulais pas d’airs mélodieux, je voulais une musique assez difficile, que le spectateur comprenne que c’est du travail. »[33]
« Je voulais une musique de chambre qui ne soit pas ni romantique, ni contemporaine. Pour bien montrer le sérieux et la difficulté du travail de Camille. »[34]
« (…)Pour enregistrer son premier disque, elle ne choisit pas un morceau mélodique, mais une sonate peu connue de Ravel ou la complexité technique prend le pas sur l’émotion. »[35]
« La musique dans ce qu’elle a d’artisanal, de laborieux, de manuel ; la musique qui intervient toujours en situation et pas en illustration. La musique récurrente, mais pas envahissante, et même – s’agissant d’une instrumentaliste et de deux luthiers – d’une discrétion exemplaire. Simplement les trio de Ravel sont là, ils habitent le film et l’éclairent de leur abrupte limpidité. »[36]
Techniquement Emmanuelle Béart est doublée par l’enregistrement de Jean-Jacques Kantorow. Pour les gestes, Béart a eu un an des leçons de violon. A propos de ça Sautet dit : « Elle joue rigoureusement synchrone ce qu’on entend en play-back. Elle arrivait à jouer par cœur tous les extraits de Ravel que j’avais choisis. Ce n’était pas très audible, puisqu’il faut au moins sept ans de pratique pour avoir un son correct. Elle demandait donc qu’on lui renvoie le play-back au maximum pour ne pas s’entendre. Le plus étonnant, c’est que les deux musiciens professionnels qui l’accompagnaient n’en ont pas moins cru, aux rushes, que c’était elle qui jouait ! »[37]
En dernier lieu, en partant d’une citation que j’ai déjà cité comme l’épigraphe, j’essayerai de montrer l’indépendance du film et de la scène de la répétition des idées fondatrices de Jacques Fieschi et de Claude Sautet.
(…) L’ordre des passages ou on entend Camille jouer correspond à une succession d’états. Au début, il y a le duo pour violon et violoncelle qui est une pièce ingrate, exprimant son malaise en face de Stéphane. Après le trio qui est une pièce plus émouvante, le Blues, avec un final à l’Espagnole. Et pour finir, le Perpetuum mobile, avec cette sorte de sprint que Camille doit tenir jusqu’au bout, une tension, une montée progressive jusqu’au point de rupture. D’une pièce à l’autre, c’est le caractère du personnage qui s’affirme. Son développement professionnel en même temps que sentimental… Avec la musique de Ravel, nous avons dû faire des contradictions, sans le trahir, couper des mesures, tout un travail invisible et très difficile que nous avons accompli avec Philippe Sarde.[38]
« Au début, Camille joue avec une technique irréprochable mais sans âme. La distance de Stéphane la blesse, lui révèle une fêlure qu’elle ignorait. Et sa dernière séance d’enregistrement est une triomphe. »[39]
Dans ces citations Sautet explique clairement l’idée dans sa tête en tournant son film. Pour lui, chaque enregistrement de Ravel correspondait avec une phase émotionnelle de Camille. Est-ce que ça encore valable pour le film ?
«M.B. Dans la dernière scène, Camille et Stéphane échangent très peu de mots…
C.S. Elle était initialement plus dialoguée. Mais j’ai supprimé petit à petit la plupart des répliques. Il n’y avait presque plus besoin de rien. Et comme nous l’avons tournée à la fin, je n’avais pratiquement pas besoin de diriger Emmanuelle et Daniel… Je voulais faire un film économe ou tout soit exprimé de façon minimale, tant je sais que les dialogues ne traduisent qu’une partie de la vérité des êtres. Stéphane au fond, on ne sait pas quand il parle s’il joue, se cache ou se protège. »[40]
En vérité, Un Cœur en Hiver est un certain type d’histoire incertaine. Pendant la maîtresse de l’œuvre, avec le découpage et l’acte des comédiens (Béart et Auteuil vivaient ensemble à cette époque.), l’idée fondatrice du film se transforme : A la fin du film, quand Sautet n’avait pas besoin de diriger Béart ou Auteuil, le récit avait déjà trouvé un autre chemin à traverser. C’est-à-dire, le moyen de Sautet pour filmer (composer une musique de chambre) laissait diverses lectures de récit. Après voir vu le film une dizaine de fois et avoir lu presque tout sur le film, je ne pense pas du tout que « Stéphane vient entendre Camille à la répétition et qu’il la fixe intensément pour la déstabiliser, il y parvient et en est fier”. Quand on fait un film comme une musique de chambre c’est évident qu’il y aura des commentaires, des perceptions différents de sur le papier. Stéphane était là, parce qu’il doit être là, pour écouter le son de violon de sa cliente, rien d’autre. Il regardait Camille comme une cliente. Camille cherchait désespérément un sens dans les yeux de Stéphane. Pourtant possiblement Stéphane se murmurait « Je ne vous aime pas : cela ne vous regarde pas. »
Un cœur en Hiver est une histoire simple.
5. La Bibliographie
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5.1. La Discographie
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Le cinéma de Claude Sautet musiques de Philippe Sarde, Universal Music Jazz France, 2000
5.2. La Filmographie
Un Cœur en Hiver, Casette VHS, Paris, 1993
[1] Claude Sautet dans, Michel Boujut, Conservations avec Claude Sautet, Actes sud / Institut Lumière, Arles, 1995
[2] Claude Sautet dans Michel Boujut, ibid.
[3] Claude Sautet dans, Michel Boujut, ibid.
[4] Rencontre avec le réalisateur, Le Monde, 3 septembre 1992 pg.23
[5] Gabriel Landry, “Le Luthier, la musicienne et son violon” in 24 Images, no:62, décembre 1992- janvier 1993, p. 66
[6] Claude Sautet dans, Michel Boujut, ibid.
[7] Le Principe de l’incertitude, Le film de Manuel d’Oliviera (2002)
[8] Claude Sautet dans, Michel Boujut, ibid.
[9] Gérard Langlois, Claude Sautet Les choses de sa vie, NM7 Editions, Paris, février 2002
[10] Gérard Langlois, ibid.
[11] « Un Cœur en Hiver » (Livret de CD du film) Erato Disques S.A., 1973, 1974 Paris
[12] « Un Cœur en Hiver », Catalogue du film, Paris, 1992
[13] Michel Boujut, Conversations avec Claude Sautet, Actes sud/Institue Lumière, Arles, 1994
[14] Jean-François Josselin, Le Nouvel Observateur, 3–9 septembre 1992
[15] L’Avant-Scène Cinéma, Numéro: 453 Juin 1996, Paris
[16] Encyclopédie Hachette sur cyclo:voila.fr0
[17] Roland Decandé, Dictionnaire de la musique, Editions du Seuil, Paris, 1970, p.226
[18] Roland Decandé, ibid. pg. 256
[19] Roland Decandé, ibid. pg. 261
[20] Extraits de Maurice Ravel Encyclopédie Hachette Universalis sur encyclo.voila.fr
[21] Georges Léon, Maurice Ravel L’Homme et son oeuvre, Editions Seghers, Paris, 1964 pg. 142–143
[22] Gérard Langlois, in Positif, no: 379, septembre 1992
[23] Pierre Petit, Ravel, Hachette, Paris, 1970 pg: 63- 64
[24] Maurice Ravel dans Pierre Petit, Ravel, Hachette, Paris, 1970
[25] Télérama, no: 2196, 12 février 1992 pg.28
[26] Télérama, no: 2225, 2 septembre 1992
[27] Les expériences autobiographiques de Sautet est la source de cette connaissance : “M.B. Vous disiez au moment de la sortie du film, que le comportement de Stéphane correspondait à des phases vécues par vous.
C.S. Oui, des phases, cette impression d’insensibilité, l’incapacité à répondre aux sentiments qu’on vous porte. Un malentendu auquel on ne trouve pas d’issue. Je voulais dire aussi que pendant très longtemps dans ma vie je n’avais pas vu d’adéquation entre le désir sexuel et le sentiment amoureux. Alors que c’était apparemment un tout chez les femmes… »
[28] Samuel, Douhaire, “La grande musique des cœurs en mouvement pepétuel” Entretien avec Claude Sautet, Lyon- Libération, 3 septembre 1992
[29] Rencontre avec le réalisateur, ibid.
[30] Gabriel Landry, “Le Luthier la musicienne et son violon” 24 Images, no:64, décembre 1992-Janvier 1993
[31] Gabriel Landry, ibid.
[32] Claude Sautet dans Samuel, Douhaire, ibid.
[33] Rencontre avec le réalisateur, ibid.
[34] Claude Sautet, dans Michel Boujut, ibid.
[35] Claude Sautet dans Samuel, Douhaire, ibid.
[36] Danièle Heymannn, Le Monde, Le Cinéma comme la musique, 3 septembre 1992
[37] Claude Sautet dans, Michel Boujut, ibid.
[38] Claude Sautet dans Michel Boujut ibid.
[39] Claude Sautet dans Samuel, Douhaire, ibid.
[40] Claude Sautet dans Michel Boujut ibid.